Interview : Manon Hostens

Championne du monde de sprint, vice-championne du monde de classique, Manon Hostens fait un début de saison magnifique. Une semaine avant, elle décrochait une médaille d’argent en K2 500m avec Sarah Guyot en Coupe du monde de course en ligne à Duisburg.
Cet hiver, Manon Hostens s’est confiée à CKM. On vous propose de lire ou relire son interview si vous l’avez manqué dans le CKM n°248.

Compétitrice dans l’âme

Toulouse, fin novembre. La douceur baigne encore les bords de la Garonne, et rendez-vous était pris avec Manon Hostens. Vice-championne du monde de sprint aux mondiaux de descente à Pau en 2017, cette médaille d’argent venait clore une belle saison. Quelques semaines plus tôt, elle terminait 4ème des championnats du monde de course en ligne en K4 500m, et 9ème en K2 500m. Une saison riche, au cours de laquelle elle a encore étoffé son palmarès.

Durant une après-midi, elle nous a ouvert son univers le temps d’un entretien et où elle s’est prêtée au jeu d’une séance photos. Elle revient pour Canoë Kayak Magazine sur sa saison 2017, son expérience olympique, la suite qu’elle veut donner à sa carrière et sa façon de gérer son quotidien entre descente et course en ligne.

 

Revenons d’abord sur ta saison de course en ligne, ces deux finales mondiales et notamment cette 4ème en K4 500m. Qu’est-ce que cela t’inspire ?

Manon Hostens : « Je ne peux pas comparer avec 2016, car le K4 a été modifié. Par contre individuellement j’ai l’impression d’avoir progressé, notamment en terme de sensations. A partir des sélections j’ai fait beaucoup de courses en K1 en Coupe du monde et lors des mondiaux U23. J’ai ainsi pu prendre la mesure de mon niveau à l’international et apprendre à mieux construire mes courses sur 500m. En terme d’expérience j’ai beaucoup appris, cela me manquait vraiment en course en ligne.
En K4 j’ai bien aimé cette saison car on a construit le bateau petit à petit, en faisant beaucoup de monoplace d’abord. Le changement c’était aussi d’avoir deux entraîneurs, Nicolas Maillotte et Jean-Pascal Crochet, on a construit ce bateau tous ensemble. Au Temple sur Lot, lors du stage terminal, on a pu échanger avec les filles de l’équipe de Nouvelle-Zélande, et c’était une confrontation intéressante juste avant les mondiaux. Cela nous a donné de la confiance, on sentait qu’on était dans le coup, tout comme la victoire lors de la Coupe du monde de Belgrade.

J’ai beaucoup aimé courir en moins de 23 ans (U23) aussi, c’était une autre approche. On a construit un autre K4 et j’ai couru en monoplace, donc c’était enrichissant.

J’ai enchaîné les courses, mais physiquement cela s’est bien passé. Le coup de mou je l’ai vraiment senti après les championnats du monde de course en ligne, mais comme il y avait Pau qui arrivait j’ai oublié la fatigue. Elle m’a rattrapée après Pau car je suis tombée malade.

 

Avec le recul, quel est ton sentiment sur ta médaille d’argent à Pau lors des mondiaux de sprint en descente ?

M.H. : « Je suis vraiment contente de cette médaille d’argent, car en sprint j’ai toujours eu des difficultés sur des parcours exigeants en eaux-vives. Je suis souvent passée à côté de mes finales, je n’ai jamais gagné, même en France.

Mais, ce jour-là, à Pau, j’ai réussi à exprimer tout mon potentiel, donc c’est une satisfaction. J’étais dans le moment, réactive, alors j’ai commis des petites erreurs mais je vois une progression. J’ai fait très peu d’eaux-vives cette saison et c’est vite revenu, je crois, notamment, que c’est lié à l’envie. Mes automatismes étaient là, autour la dynamique et l’ambiance étaient exceptionnelles donc cela porte. Il y avait beaucoup de monde pour me voir, beaucoup de sollicitations médiatiques, donc je crois que c’est une des courses où j’avais le plus de pression. Pour ajouter au stress je partais en dernière et c’est dur de rester dans sa bulle dans la zone de départ. Mais j’avais l’impression d’être un taureau en cage et ça m’a portée toute la course. Il y a un peu de frustration à être 2ème mais j’ai fait ma course.

 

Quel impact ces mondiaux peuvent avoir sur la descente ?

M.H. : « La proximité avec le slalom était intéressante, elle offre une meilleure visibilité pour la descente, auprès de l’extérieur et de la FIC je pense. J’espère que ça aidera la descente, sans pour autant oublier la classique qui me tient à cœur.

Est-ce que tu penses continuer ton double projet course en ligne et descente ?

M.H. : « En fait en 2018 il y aura deux semaines de Coupe du monde en course en ligne, les championnats du monde de descente, puis les championnats d’Europe de course en ligne. Le calendrier est chargé, mais j’ai déjà enchaîné les semaines de compétition. Je suis persuadée que lorsqu’on a envie c’est possible de le faire.
J’ai longtemps hésité mais finalement j’ai inscrit dans mon projet de cette saison les mondiaux de descente. Je ne sais pas si le staff de course en ligne me suivra mais pour l’instant je n’arrive pas à me résoudre à ne pas courir aux mondiaux de descente. Lors des championnats de France classiques j’étais tellement contente de naviguer à nouveau, j’adore ça !

Il faudra jongler notamment pour tester les bateaux, et pour la première fois les sélections de descente sont avant la course en ligne. J’espère que cela passera qu’on me fera confiance.

 

Revenons sur les Jeux olympiques de Rio 2016. Qu’est-ce que tu as envie de retenir de ta première expérience olympique ?

M.H. : « On y est allé pour nos premiers Jeux et on s’est fait avoir par le stress de l’événement. C’est déroutant. J’aborderais l’événement avec plus de facilités si j’y retourne. J’ai pris conscience de l’impact de l’événement, et médiatiquement ce sera plus simple à gérer.

Sportivement ça m’a donné envie de progresser en course en ligne, d’aller chercher des médailles. Je ne veux plus arriver sur des Jeux et être aussi loin derrière à l’arrivée.

 

Comment as-tu géré la difficulté à t’imposer dans le K4 ?

M.H. : « Dans ce bateau c’était compliqué, même si les filles m’ont acceptée. Le plus dur c’était de trouver nos places, car entres athlètes et staff, on n’était pas d’accord. Je me sentais un peu perdue au milieu de tout les avis qui fusaient et c’était dur de trouver ma place. Des efforts ont été faits, mais avec le stress des Jeux tout s’est amplifié. C’est devenu conflictuel et cela s’est un peu répercuté dans le bateau.

As-tu l’impression d’avoir plus de légitimité maintenant par rapport aux autres filles ?

M.H. : « Je ne sais pas si on peut parler de légitimité. Mais les filles me connaissent mieux et on échange plus facilement. Même moi à partir d’un moment, en 2016, je me suis fermée, car on n’arrivait pas à communiquer. C’était compliqué à cette époque, on ne s’écoutait pas. Cette année les échanges étaient plus apaisés et cela nous a permis de construire et d’apporter à notre équipage. Cette année Sarah Guyot a pris un rôle de leader, elle a cette faculté et ça nous a aidées. C’est ce qui manquait aussi dans le bateau en 2016, une leader naturelle, personne n’avait ce rôle.

 

Après votre belle saison en K4, as-tu l’impression que les filles prennent une nouvelle place au sein de l’équipe de France ? On a longtemps vu les filles en retrait.

M.H. : « Au final on fait le meilleur résultat de l’équipe sur distance olympique aux mondiaux, mais ça ne tient pas qu’à ça. On était déçu pour les autres. Mais le staff était content pour nous, car nos résultats donnent du souffle aux kayaks dames. Pour autant je ne sais pas si on prend une nouvelle place. Mon ressenti c’est qu’on nous écoute, qu’on nous entoure comme les autres, je ne vois pas de différence. Je n’en ai jamais vécu en tout cas.

 

Qu’est-ce qui manque encore aux kayaks dames tricolores pour passer un cap à l’international ?

M.H. : « Je suis convaincue qu’il manque de densité dans notre catégorie, et je dis ça sans être leader. Mais ce sont toujours les mêmes qui se battent pour les places en équipe de France, Sarah Guyot est toujours un bateau devant… Si derrière il y avait davantage de jeunes pour nous botter les fesses on avancerait mieux. Il manque aussi de la confrontation à Sarah Guyot. Il faut qu’on arrête de se conforter dans ce rituel d’une hiérarchie préétablie. J’ai envie de bousculer cela, je l’ai un peu fait, et j’espère que d’autres filles y arriveront, comme Claire Bren ou Marjolaine Hecquet par exemple. Il faut donner un coup de pied dans la fourmilière et provoquer une progression globale.

 

Durant la saison 2017 tu as couru en K1, en K2 et en K4. As-tu envie de continuer à faire d’autres bateaux que le K4 à l’international ?

M.H. : « Oui j’ai trouvé ça hyper enrichissant de faire du K2 avec Sarah Troel par exemple. On a beaucoup échangé et cela s’est ressenti en K4 aussi. Cela m’a permis de mieux m’adapter au niveau gestuel, notamment.

Le monoplace m’a aussi permis de me construire dans la discipline, car je manquais de courses, et surtout de courses de très haut-niveau. C’est important de doubler lors des championnats du monde je crois, car cette année cela m’a permis de mieux entrer dans la compétition.

Revenons à tes débuts ; comment as-tu débuté le kayak ?

M.H. : « Mon frère regardait les Jeux olympiques de Sydney à la télé et il a voulu faire du kayak. A l’époque on habitait dans le nord et il n’y avait pas de club près de chez nous. En arrivant, l’année d’après, dans le Périgord il a pu aller au kayak donc je l’ai accompagné, d’abord à contrecœur, pour qu’il ne soit pas tout seul, et ça m’a tout de suite plu. Depuis je n’ai plus quitté une pagaie. On a d’ailleurs été sélectionné tous les deux pour la première fois en équipe de France ensemble aux championnats d’Europe de descente en junior (j’étais cadette 2) en 2010. On termine tous les deux troisième, d’ailleurs.

 

Qu’est-ce qui t’a amenée vers le haut-niveau ?

M.H. : « Je crois que j’ai toujours été compétitrice. Même enfant, à la maternelle mes parents avaient été convoqués par la maîtresse car je ne supportais pas de perdre et qu’il fallait me mettre en échec, j’étais déjà compétitrice.

Au collège je faisais beaucoup de cross, du basket en compétition et j’aimais ça. En 3ème j’avais le choix entre le pôle Espoir de kayak et l’équipe départementale de basket ; j’ai choisi le kayak car je préfère les sports de nature et j’aime la compétition et le haut-niveau.

 

C’est quoi le quotidien de Manon Hostens maintenant ?

M.H. : « Je suis diplômée de kinésithérapie depuis fin juin 2017. Ensuite les compétitions se sont enchaînées, mais je voulais tout de même travailler. C’est dur, car je veux aussi être médaillée aux championnats du monde et aux Jeux. Pour cela il ne faut pas négliger les temps de repos, les entraînements et les journées sont très chargées. J’ai cherché un contrat me permettant d’être détachée, sans succès. Mais avec mon département j’arrive à avoir des sponsors, donc je me base là-dessus et en septembre prochain j’irai faire des remplacements, en alternant ces périodes de travail et d’entraînement. Je veux garder le contact avec mon boulot, donc je garde aussi l’espoir de trouver un contrat me permettant de m’entraîner.

 

Comment as-tu réussi à créer cette cellule de sponsors privés qui te suivent dans ta démarche de haut-niveau ?

M.H. : « Je dois remercier le Conseil Départemental de la Dordogne et son président Germinal Peiro. Ils ont mis en place une personne ressource qui s’occupe de démarcher les sponsors et qui fait le gros du travail. Ensuite je rencontre mes partenaires quand je rentre en Dordogne. C’est grâce à ça que je peux vivre ma passion, donc j’aime aussi prendre du temps avec eux.

 

Tu as une pratique éclectique du kayak, entre la descente, la course en ligne, le surf-ski. L’an dernier tu es allée en Nouvelle-Zélande, en janvier tu étais en Australie. Pourquoi ces choix peu habituels chez les filles ?

M.H. : « J’aime le kayak en général ! J’aime varier les plaisirs et la compétition. Plus jeune j’ai aussi fait du slalom. Je crois que c’est aussi ma force, depuis que je suis petite je passe d’un bateau à l’autre. Avant tout je fais ce qui me plaît, ce n’est pas une recette miracle, mais ça fait partie de mon équilibre.

 

Comment tu envisages les trois saisons qui arrivent avec Tokyo 2020 en point de mire ?

M.H. : « C’est dur, car en course en ligne, cela dépend beaucoup des résultats des sélections et des saisons internationales. Mais si je veux aller chercher des médailles à Tokyo il faut que je sois meilleure. J’ai des points forts et des points faibles à travailler, chaque année va me permettre de construire un peu plus. Je ne veux pas griller les étapes, je dois savoir prendre chaque saison après l’autre.

Qu’est-ce qui te manque selon toi pour décrocher cette médaille à Tokyo ?

M.H. : « Beaucoup de choses ! De la vitesse de pointe, de l’expérience, de la force musculaire. Je dois continuer à travailler techniquement pour avoir une meilleure vitesse de bateau.

 

Depuis 2012 tu travailles avec Frédéric Rebeyrol à Toulouse. C’est quoi la recette pour que ça marche et que tu ne partes pas ailleurs alors que beaucoup d’athlètes changent de pôle ?

M.H. : « Je suis arrivée jeune à Toulouse et notre démarche n’était pas la même à l’époque. On a su évoluer, et chaque saison on a su s’adapter à mes objectifs. Fred évolue tout le temps, je n’ai pas fait le tour encore de tout ce qu’il peut m’apprendre. On a appris à se connaître et on ne se dévoile pas au premier abord, donc le fait de mieux se connaître maintenant nous permet d’avoir encore beaucoup de champs à explorer. On parle le même langage maintenant. Il me pousse aussi à aller voir les autres entraîneurs car il n’a pas la recette miracle. Il m’incite à être curieuse des informations que les autres peuvent m’apporter. Ensuite je fais le tri et on en discute, cela nous évite de nous enfermer dans une routine. C’est hyper riche comme collaboration. »

Propos recueillis par Mélanie Chanvillard / Photos : Julien Crosnier

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